lunedì 5 dicembre 2011

me, by Baudelaire's words and thoughts.

XXXIII. ENIVREZ-VOUS
Il faut être toujours ivre. Tout est là: c’est l’unique question. Pour ne pas sentir
l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous
enivrer sans trêve.
Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous.
Et si quelquefois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, dans
la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou
disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge, à tout ce qui fuit,
à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez
quelle heure il est et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront: « Il
est l’heure de s’enivrer ! Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ;
enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. »


XLVIII. ANY WHERE OUT OF THE WORLD
N’importe où hors du monde
Cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit.
Celui-ci voudrait souffrir en face du poêle, et celui-là croit qu’il guérirait à côté de la
fenêtre.
Il me semble que je serais toujours bien là où je ne suis pas, et cette question de
déménagement en est une que je discute sans cesse avec mon âme.
« Dis-moi, mon âme, pauvre âme refroidie, que penserais-tu d’habiter Lisbonne ?
Il doit y faire chaud, et tu t’y ragaillardirais comme un lézard. Cette ville est au bord de
l’eau ; on dit qu’elle est bâtie en marbre, et que le peuple y a une telle haine du végétal,
qu’il arrache tous les arbres. Voilà un paysage selon ton goût ; un paysage fait avec la
lumière et le minéral, et le liquide pour les réfl échir ! »
Mon âme ne répond pas.
« Puisque tu aimes tant le repos, avec le spectacle du mouvement, veux-tu venir
habiter la Hollande, cette terre béatifi ante ? Peut-être te divertiras-tu dans cette contrée
dont tu as souvent admiré l’image dans les musées. Que penserais-tu de Rotterdam, toi
qui aimes les forêts de mâts, et les navires amarrés au pied des maisons ? »
Mon âme reste muette.
« Batavia te sourirait peut-être davantage ? Nous y trouverions d’ailleurs l’esprit de
l’Europe marié à la beauté tropicale. »
Pas un mot. – Mon âme serait-elle morte ?
« En es-tu donc venue à ce point d’engourdissement que tu ne te plaises que dans ton
mal ? S’il en est ainsi, fuyons vers les pays qui sont les analogies de la Mort.
– Je tiens notre affaire, pauvre âme ! Nous ferons nos malles pour Tornéo. Allons
plus loin encore, à l’extrême bout de la Baltique ; encore plus loin de la vie, si c’est
possible ; installons-nous au pôle. Là le soleil ne frise qu’obliquement la terre, et les
lentes alternatives de la lumière et de la nuit suppriment la variété et augmentent la
monotonie, cette moitié du néant. Là, nous pourrons prendre de longs bains de ténèbres,
cependant que, pour nous divertir, les aurores boréales nous enverront de temps en temps
leurs gerbes roses, comme des refl ets d’un feu d’artifi ce de l’Enfer ! »
Enfi n, mon âme fait explosion, et sagement elle me crie: « N’importe où ! n’importe
où ! pourvu que ce soit hors de ce monde ! »



XXXV. LES FENÊTRES
Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de
choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n’est pas d’objet plus profond, plus
mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu’une fenêtre éclairée d’une
chandelle. Ce qu’on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe
derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie.


XLI. LE PORT
Un port est un séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie.
L’ampleur du ciel, l’architecture mobile des nuages, les colorations changeantes de la
mer, le scintillement des phares, sont un prisme merveilleusement propre à amuser les
yeux sans jamais les lasser. Les formes élancées des navires, au gréement compliqué,
auxquels la houle imprime des oscillations harmonieuses, servent à entretenir dans l’âme
le goût du rythme et de la beauté. Et puis, surtout, il y a une sorte de plaisir mystérieux
et aristocratique pour celui qui n’a plus ni curiosité ni ambition, à contempler, couché
dans le belvédère ou accoudé sur le môle, tous ces mouvements de ceux qui partent et de
ceux qui reviennent, de ceux qui ont encore la force de vouloir, le désir de voyager ou de
s’enrichir.



Baudelaire "Le Spleen de Paris"

Nessun commento:

Posta un commento